Levitation Angers 24 Mai 2024 : Jason et la toison d’or.

Vendredi 24 mai, 23h45 : Sleaford Mods, les rois de Nottingham, terminent leur set. Ils ont illuminé pendant plus d’une heure le ciel angevin d’une trainée de poudre musicale, alchimie parfaite entre la musique d’Andrew Fearn et le chant scandé de Jason Willamson. Avant ça, il convient de rembobiner la bande TDK et de commencer cette nouvelle journée du mois de Mai, où de fantomatiques aurores boréales apparaissent dans les cieux hexagonaux.

On espérait tous un miracle musical associé au doux climat Angevin pour cette 11ème édition du Levitation France, petit cousin du Levitation US d’Austin. Le miracle, pour un rédacteur, étant d’obtenir le Graal du pass photo, c’est après avoir allumé un cierge à l’église Notre-Dame des Victoires d’Angers, que je me rends sur le site de ce nouveau pèlerinage : la salle le Chabada, ou du moins son parking, où se dressent comme des cathédrales des temps modernes, deux scènes extérieures à taille humaine. Il est 17h30 à l’ouverture des portes du paradis.  Pourtant, ni mirage, ni miracle à l’horizon quand l’agent de sécurité me fait vite comprendre que ce n’est pas à dieu que je dois confier mes envies de faire des jolies photos. je vais devoir, comme 3500 fidèles ce soir, me contenter de mes oreilles et de mes yeux pour trouver l’inspiration biblique de l’écriture. Demi tour et retour à la voiture pour déposer le précieux Niko . Il me reste dès lors qu’à espérer rester en suspension au-dessus du sol, sous le seul effet d’une force naturelle qu’on appelle la musique. Oh ! Lévitation psychédélique, porte moi au ciel !

Avant que la poule aux œufs d’or des Sleaford Mods ne caquette, on démarre traditionnellement avec un groupe local français, Fragile. La voix éraillée du leader du groupe Angevin expie viscéralement, sur fond de punk hardcore, les premiers titres de leur EP About Going Home sorti en juin 2023. Des riffs efficaces et une identité musicale déjà forte pour ce groupe en devenir, dès lors que le chanteur ne casse pas prématurément sa voix « fragile ».

On enchaîne avec mon coup de cœur de la journée, les américains de Sweeping Promises, groupe en provenance d’Arkensas, de Lira Mondal et de Caufield Schnug. Lira, petit bout de femme au pantalon tailleur rouge, ressemble à ma prof d’espagnol qui conjuguerait avec la voix de Beth Ditto tout en grattant une basse groove. Caufield, en guitariste émérite, a l’allure d’un jeune étudiant geek qui découvre faussement sa guitare et se laisse déniaiser par elle. Une décennie de collaboration entre eux a donné lieu à des projets éclectiques contrariés en 2020 par le COVID-19 et reboostés en 2023 avec la sortie du bien nommé Good Living Is Coming For You. Une musique joyeuse qui provoque les premiers rictus de bien-être du public.

Entre deux concerts, j’essaye de flâner entre les food trucks, les stands de t-shirts et autres marchandises estampillées « psychédéliques », mais ce n’est pas si simple, car les sets s’enchaînent en moins de cinq minutes. Je n’écouterai donc que d’une oreille le quintet d’Atlanta Upchuck et sa chanteuse virevoltante KT Thompson. L’omniprésence des guitares fuzz, massives et saturées me donnera déjà un aperçu du fil conducteur du week-end : du gros son. Quelle chance, je suis venu avec mes deux appendices !

Heureusement que de temps en temps la prestation se fait plus légère. C’est avec le duo Londonien O. composé du saxophoniste baryton Joe Henwood et de la batteuse Tash Keary, que je récupère quelques Ouies d’or. Ces deux-là ne sont vraiment pas avares en sourires. Ils nous présentent les compositions de leur futur album WeirdOs, dont la sortie est prévue le 21 juin prochain pour le solstice d’été, jour le plus long de l’année. J’écoute ces instrumentaux à haute tension, entremêlant lignes de jazz complexes et son métal, sans réellement déchiffrer toutes les nuances de couleur de cette musique (mécréant !). Je crains déjà de passer le concert « le plus long » de la soirée, contrairement aux spectateurs du premier rang qui le vivent intensément.

Direction donc le coin coin des garçons. « Ça dégouline dans le cornet » nous promet l’autocollant opposé sur ce mobilier urbain mobile de soulagement. Promesse tenue, travail bien fait. Un petit tour au végan truck et les anglais de The KVB entrent en scène pour le premier concert « minimal wave » du week-end, aux nappes de synthétiseurs vintage 80’s. La prestation du duo, composé de Nicholas Wood et Kat Day, débute de manière minimaliste. Le set vire rapidement à une succession de titres pop, d’abord sombres, puis solaires à la nuit tombante. Les sonorités industrielles sentent bons le souvenir des Ultavrox et autres The Human League. Elles se colorent de teintes techno électroniques aux basses saturées qui peinent à faire danser un public réfractaire au voyage dans le temps. La ressemblance des morceaux entendus, pour un public de festival se prépositionnant pour la tête d’affiche finira par endormir celui-ci.

Un réveil, une descente au plus près des barrières et me voilà positionné en lisière de scène, tel le sheriff de Nottingham pour observer le casse du siècle, par le tonitruant duo le plus cool de la soirée. Vous les connaissez, ils n’avancent pas masqués. Ils sont deux, ou plutôt un et demi, Andrew Fearn se contentant de nous diffuser ses plus beaux morceaux en appuyant sur un bouton de son Mac, posé sur un pupitre tagué « War child ». On prône l’amour, pas la guerre évidemment, et le sourire béat d’Andrew accompagnera le chant scandé de Jason pendant 1h15. Le casse du siècle ? Uniquement si ces compères nous avaient facturé une chorégraphie à prix d’or et n’avaient pas assuré le show . Oui mais voilà, faisons les comptes. J’additionne un micro sagement posé sur son pied + 2 types en short claquettes chaussettes (la scène du Levitation est particulièrement haute, je m’avance peut-être !) + un verre de whisky tenu par une main d’expert repenti (source non plus vérifiée) + une gourde d’eau (la moitié du temps posée sur la tête de Jason) = ça ne va pas chercher bien loin ! On va en avoir pour son argent, le salaire se comptera en flux de paroles et mouvements de stretching.

C’est parti avec UK Grim et une succession de titres du dernier album éponyme. Jason raille tout ce qui ne tourne plus rond outre-Manche et ça sonne comme dans mes souvenirs du Binic Blues Festival en 2019. J’ai l’impression d’entendre toujours la même chanson, mais qu’est-ce que c’est bien ! Vous clonez Andrew et Jason et vous obtenez un punk qui aurait ingurgité un bol de culture hip-hop et électro. Vous regardez Jason et vous voyez un clown acteur qui pulse à 120 bpm, le seul capable de concurrencer Eminem le rappeur le plus rapide du monde : deux-cent-vingt-neuf mots en trente secondes. Essayez, pour voir, de passer à N’oubliez pas les paroles en chantant Tilldipper ! La banane d’Andrew est communicative. C’est le premier fan du groupe, la preuve il connaît les paroles par coeur. Le phrasé de Jason est inimitable, galliformes divers sortez de ce corps, et le public lévite enfin pour la première fois. On ne se lassera pas de la formule aussi percutante que minimale de ces turbulents quadragénaires. Sans compter que l’œuvre des anglais s’enrichit album après album (le dernier étant leur 12ème, désormais). Le tempo s’accélère et leurs productions se sont solidifiées. Ils continuent à dérouler les titres de leur dernier disque mais aussi des précédents et nous rappellent par deux fois le génial morceau Spider Kebab, l’araignée PC s’étant pris les pieds dans la toile. C’est bon et ça va le durer. Pit 2 Pit résonne, on assiste à un défilé de mode. Jason singe les apparats de la fashion sphère pendant que je le flashe au téléphone pour l’épingler sur les réseaux sociaux. L’obscurité étant totalement tombée, les lumières rouges, vertes et bleues dessinent un tableau parfait, magique comme une aurore boréale musicale. Ça valait le coup de proposer au public angevin ce petit pas de côté à la ligne éditoriale classique psyché-prog américaine. Rangeons les guitares et acceptons de faire de la place à toutes sortes de chapelle du rock indé ou de l’électro comme le confiait Marion Gabbaï, programmatrice du festival depuis 2017, au magazine de la scène du Chabada. « Trouver des têtes d’affiche sur la route et pas trop chères, capables néanmoins de créer la bascule en termes de billetterie », voilà qui reste la plus plus grosse difficulté pour le Levitation France et les autres festivals à taille humaine. Pari gagné avec les Sleaford Mods, Jason nous a servi la Toison d’or musicale sur un plateau ! Le sheriff peut dormir sereinement il n’y a pas eu de hold-up.

Fidèle à ces idoles, le Levitation France propose tout de même de clôturer cette première soirée avec le groupe japonais Acid Mothers Temple. Les adeptes de « trip extrême » sont au paradis. Moi je me contenterai d’un seul titre, tant le brouhaha instrumental de ces prolixes musiciens (cent albums sur des labels de différents pays depuis 1997), déclenchera une fermeture immédiate de mes conduits auditifs. Restons sur cette sensation de lévitation anglaise merveilleuse et reposons nos esgourdes, des choses encore plus sérieuses sont annoncées pour demain.

parution sur @Sound of violence crédit photos Robert GILL

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