LA ROUTE DU ROCK 19 Août 2023
Saint-Malo, du 17 au 19 août 2023
Live-report rédigé par Fabrice Droual le 25 août 2023
Un bébé qui ne dort pas pendant trois nuits a généralement inversé son cycle jour-nuit. Rien de grave, mais pendant ce temps-là, ce sont les parents qui trinquent ! Nous y voilà au 3ème jour de la Route du Rock. Le bébé a grandi, il a 31 ans aujourd’hui et est devenu festivalier. Il a gardé cette habitude de ne pas s’endormir avant le lever du soleil car il sait qu’à l’approche de l’aube, il devra se séparer de sa promue musicale. Ils sont là les 7000 festivaliers (ndlr : 25 000 spectateurs sur les quatre jours au total) en ce samedi 19 août, rincés par deux jours de festival intense, mais avides de retrouver cette énergie nocturne qui les nourrit.
Doivent-ils s’en excuser au passage ? Non, pas de « sorry » à présenter, juste un Sorry à écouter. Une intro tirée par les cheveux pour présenter ce duo anglais, transformé en quintet pour l’occasion, et qui débarque sur la petite scène des remparts pour démarrer les festivités de ce samedi. Cela fait déjà près de six ans que le nom de ce groupe du nord de Londres, fondé par deux amis d’enfance, Asha Lorenz et Louis O’Bryen, est sur toutes les lèvres. Porté par leur tube de 2018, Startstruck, c’est brillamment que le groupe a enchaîné avec les albums 925 en 2020 et Anywhere But Here l’année dernière, produit par Adrian Utley de Portishead. Pandémie oblige, à la sortie de leur premier opus c’est plus « at home » que nous avons suivi les prestations d’un groupe aux chansons élégantes mais parfois complexes. C’est donc avec curiosité et une certaine impatience que j’attendais cette prestation live tout comme une horde d’admirateurs, au plus près des barrières. Arrivé un peu en avance, dès les balances, je sens une certaine nervosité ou impatience sur le visage d’Asha.
Sont-ce les odeurs de campagne qui se dégagent du sol encore trempé des pluies nocturnes qui incommodent la jeune Anglaise ? Ou la déception de passer devant un public encore parsemé ? Je ne le saurai pas, vous m’en voyez désolé. La musique de Sorry est exigeante. Les Anglais privilégient l’expérimentation sonore, les compositions down-tempo, aux hits efficaces. C’est donc avec le titre calme As The Sun Sets qu’ils démarrent ce concert, alors que le soleil est loin de se coucher. Asha porte un sweat à capuche rouge et un chapeau de cowboy à facettes et j’observe qu’elle a du mal à trouver sa place au centre de la scène. Elle enchaîne cependant avec le titre plus pop Let The Lights On, afin de capter ce public apparemment aussi timide qu’elle. La chanson suivante, Right Round The Clock, permet d’apprécier sa voix avec effet écho, entremêlée à celle de Louis, qui régulièrement s’échappe en solo pour notre plus grand plaisir. Reste cette attitude introvertie qui ne permet pas vraiment d’entrer en complicité avec ce public épars qui n’est pas encore prêt à cette heure à scander des « Allez ! » voire des malheureux « A poil ! ».
Un peu plus de chaleur se dégagera dès le milieu du set à l’annonce d’une « love song » qui, prononcée timidement, fera croire à une fan inconditionnelle que la fin du set est déjà là : « Non pas the last song ! ». Pas maintenant, en effet. Il nous restera sept titres à entendre qui progressivement monteront en puissance. Largement le temps de fumer une cigarette sur le morceau rebondissant Cigarette Packet et de régurgiter (Eurgh !) le fameux Starstruck pour définitivement se dire que ce groupe aux chansons certes mélancoliques méritait vraiment de passer sur la grande scène du fort. Avec ce set réduit à quarante-cinq minutes, pour raison de line-up serré, vous l’avez compris, c’est un peu frustrés que nous quittons nos Londoniens avec le sentiment d’inachevé, d’avoir croisé un peu trop rapidement une « bande à part » dans le paysage indie rock anglais.
Leur hype étant sur le moment dépassée par celle du groupe Jockstrap, c’est avec celui-ci qu’il revient de poursuivre notre séance découverte des nouveaux talents londoniens. « Ce visage ne m’est pas inconnu, est-ce Angèle ? », se demande un quinqua. Non ! Aucune place pour la chanson franco-belge du côté des terres malouines. C’est Georgia Ellery, croisée deux ans plus tôt avec ce groupe protéiforme des Black Country, New Road. Elle et Taylor Skye sont issus d’une nouvelle génération qui refuse de se cantonner à un seul genre, un seul style ou une seule référence culturelle. Il se sont rencontrés sur les bancs de la fac à la Guildhall School of Music and Drama, célèbre école supérieure de musique et d’art dramatique de Londres. Jockstrap repoussent les frontières musicales et devraient nous livrer une pop sensuelle et inventive. Mais patatras ! La sauce ne prend pas.
Très rapidement j’entends le public s’interroger sur ce que vient faire une « Barbie girl » à la Route du Rock ? Georgia Ellery ayant choisi sur ce début de set de mettre en avant ses atouts charme et sa dextérité de mouvement de bras façon danses orientales, c’est un effet soporifique qu’elle obtient avec son partenaire de scène Taylor resté derrière ses synthétiseurs. Certes, la voix est belle, mais le style pop-dansante est peu habituel pour l’endroit et désarçonne le public. Malgré la montée en réjouissance ressentie à mi-parcours, notamment sur le titre Concrete Over Water où la voix cristalline de Georgia se révèle, les samples dubstep et mixages électroniques de Taylor ne suffiront pas à convaincre un public globalement déçu. Leur album, I Love You Jennifer B, aurait pu titrer I Don’t Understand Your Music Georgia E, du moins pour le public de plus de vingt-cinq ans !
N’oublions pas que c’est l’âge de nos deux artistes et la volonté entendue, au même moment en conférence de presse, des organisateurs du festival de fédérer deux générations de spectateurs : les jeunes et probablement leurs parents. Jusqu’ici estampillé post-punk et guitar heroes, le line-up du festival s’est offert des échappées solitaires rap ou hip-hop qui ont su trouver leur public. Un positionnement plus tardif de Jockstrap aurait probablement eu le même effet sur cette jeunesse insouciante, dopée à la paillette sur visage plus désinhibée que certains de leurs aînés. Mais ce n’est pas l’heure de proposer un débat intergénérationnel sur les règles de bienséance en festival rock ou de relever des statistiques inutiles sur une éventuelle corrélation alcool et produits de substitution avec marasme ambiant et pratique du sans gêne.
Le journal télévisé est terminé, il est 20h45 et c’est l’instant météo. Le ciel est au beau fixe et la température va monter collectivement avec Bodega et leur post-punk dansant. Territorial Call Of The Female est le morceau à l’intro « chant d’oiseaux tropicaux » qui m’a happé dès la première écoute. Suffisamment dansant pour me faire bouger le popotin et catchy pour que je m’intéresse au groupe à l’origine de ce son. Ce sont donc Ben Hozie et Nikki Belfiglio qui ont formé celui-ci en 2016 et se sont donné pour mission de revisiter les courants passés de la musique New Yorkaise : punk rock façon Ramones, rythmes épileptiques à la Talking Heads, noise tourbillonnant à la Sonic Youth, le tout mélangé à de la musique urbaine. Le tout avec une énergie positive et communicative, un bon coup de vitamines pour festivalier fatigué. On retrouve sur scène une combinaison de talents : Nikki au chant, clavier et rythmique (timbre de voix à la B52’S) avec ses superbes lunettes excentriques blanches assorties à son Kimono et ses baguettes, Ben Hozie à gauche de la scène guitare et chant, Dan Ryan second guitariste au look impeccable et au riffs affirmés, Adam See à la basse discrète et le batteur Adam Shumski toujours souriant. Le look colle à la musique moderne et rétro à la fois, légère et sérieuse en même temps. On y dénonce le productivisme sur le titre Doers inspiré des Daft Punk (« It’s making me bitter harder fatter stressed ») et on prône la prise de pouvoir par les femmes sur le fameux Territorial Call Of The Female. Du « militantisme » sans agressivité, ni extrémisme apparent. Au contraire, le groupe partage avec son public la joie de jouer de la musique pour ce beau festival qu’est la Route du Rock. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont Dan et Nikki qui ont spécialement composé une petite chanson, « This is la RRrroute du Rock ». A nous de leur rendre cette politesse : merci pour votre énergie haute en couleur !
Belle transition avec le groupe suivant et son nouvel album The Future Is Your Past, les expérimentés The Brian Jonestown Massacre. Vingt albums au compteur et une musique qui, venue des années 90 sous influence shoegaze, psychédélique et dream pop, a migré vers une esthétique rétro-futuriste des années 60.Les Américains ne font pas les choses à moitié et Anton Newcombe, auteur, compositeur, multi-instrumentiste et producteur, sort généralement accompagné et pas toujours à l’heure. Ce sont pas moins de trois guitaristes, un batteur, un claviériste et son indispensable tambouriniste Joel Gion, qui entourent le Californien. A l’image d’un Bez, célèbre danseur des Happy Mondays, Joel défend ardemment cette profession de foi en voie de disparition et s’échinera par dévotion à tambouriner toute la soirée. 1h30 de concert où les puristes se régaleront mais pendant lequel les touristes trouveront le temps long, à l’écoute de cette musique répétitive sensée vous évader dans un voyage psychédélique. Est-ce par qu’ils avaient déjà entrevu la voute céleste en fumant la cithare la veille avec les Anges Noirs ou est-ce parce que l’habitude de zapper, de scroller n’est plus compatible avec l’éloge de la lenteur que semblent entretenir Anton et ses musiciens ? Ne boudons pas notre plaisir, nous les puristes ! Nous observons des orfèvres de l’instrument de musique, soignant celui-ci entre deux morceaux et s’accommodant des invectives d’une petite partie du public abruti (« Plus vite ! », « Allez Joël ! »), par trois jours de musique !
La fâcheuse manie de lancer des gobelets de bière (vides, bien entendu) vers la scène conduit le guitariste Collin Hegna à pousser sa gueulante. Un agacement que je partage au même moment en refusant de me faire « piquer ma place » par un soi-disant fan qui, à l’identique des conducteurs spécialisés dans le rabattement de dernière minute au rétrécissement de voie, grille tout le monde à la dernière minute. Heureusement pour lui, pas de contrôle biniou ! Seulement des guitares et des claviers. La voix posée d’Anton Newcombe, au milieu de tout cela, dirige la cérémonie. C’est peut-être parce que je fais déjà partie de la secte « Johnson » que je suis à deux doigts de faire un massacre, tant la voix du prédicateur a du mal à couvrir les discussions à deux balles du troisième rang. The Future Is Your Past sera partiellement joué ce soir avec de nombreux autres titres plus classiques.
« L’avenir est votre passé », j’ai un peu de mal à m’en convaincre au démarrage du concert suivant de Flohio, entre électronique et hip-hop. Le passé de la Route du Rock systématisait l’usage de la guitare, il n’est pas encore minuit et je n’en verrai plus de la soirée ! « L’identité du festival semble perdue », me dira une festivalière. « La transition entre deux générations est réussie », se féliciteront les organisateurs quelques heures avant le set électro de Jamie xx qui va transformer le fort en dancefloor géant.
Echappé de The xx depuis 2015, le prodige des boîtes à rythmes, PAD et groovebox régalera ce soir le jeune public sur ses rythmes dubstep, garage et jungle. C’est léger, et pour certains aussi planant que l’esthétique musique des années 70. J’aurais préféré entendre ces volutes sur la plage en version sieste musicale, le postérieur dans le sable, car il y a belle lurette que je ne vais plus en boîte (double expression de vieux !). « Vous n’avez pas le monopole du cœur (musical), Monsieur le rédacteur ! ». Non, c’est vrai. J’espère simplement que les papillons de nuit de ce soir n’étaient pas attirés que par la lumière. Avides de diversité, ils seront probablement restés (eux !) écouter They Hate Change. Pourfendeur du hip-hop de la côte Est, ces deux anciens DJ imprégnés de drum and bass, de post-punk, de grime, de krautrock et de multitude de genres musicaux existants, ont su créer un univers très personnel et dansant. Ils auront, avec Flohio, ouvert ce week-end la voie du hip-hop à Saint-Malo.
Ainsi se termine cette quatrième et dernière soirée. Je repars avec plein de souvenirs, de belles confirmations, quelques déceptions et pas mal d’interrogations. A l’année prochaine Lady Route du Rock, pour fêter vos trente-deux ans ! Et promettez-moi de continuer à être le meilleur festival de France !
Crédit Photos Robert GILL pour SOUND OF VIOLENCE.