La femme, le feu, le chao, les flammes du Paradis : La Route du Rock hiver l’Antipode Rennes le 26 février 2025.
couverture pour Sound Of Violence Live-report rédigé par Fabrice DROUAL le 1er mars 2025
– J’aime bien le jeudi, généralement j’ai cour de basse.
– Trois ans pour en arriver là !
– C’est la faute de mes mains, elles sont trop petites !
– Je croyais que tu avais commandé des écarteurs de doigts à Noël ?
– Eh been voyons, il ne manquerait plus que la musique soit une souffrance !
Cette discussion alambiquée, je l’ai avec moi même, ou plutôt avec le petit singe-rockeur que j’ai sur l’épaule. Il ne me lâche pas celui là et me fatigue de plus en plus. Impossible d’attaquer un festival sans me poser trente-six questions. J’écoute, j’analyse, je lis et je réfléchis, j’en oublierai presque de mettre mon clignotant, sortie Rennes Roazhon Park, direction l’Antipode, la salle de spectacle, ou se déroule la soirée d’ouverture de la 19ème édition de la Collection Hiver de la Route du Rock. Un programme parfait pour débuter ce pont musical.

Le temps de laisser mon petit singe au vestiaire, je me retrouve devant la scène pour un premier rendez vous avec la très attendue Jojo Orme alias Heartworms. Silhouette longiligne en habits sombres, elle fixe la foule prête à dégoupiller le post-punk militaire de ses débuts sur l’EP A Comforting Notion, plus consensuelle et pop avec son premier album Glutton For Punishment fraîchement livré au début du mois de février. La bande à JoJo, comme a osé écrire un chroniqueur de renom sur votre site préféré, est composé de Josephine Orme au chant, guitare et thérémine, Marko Andic à la guitare au look so gothic, Elisabeth Walsh à la basse et Gian Luca De Gisi à la batterie. « Y avait moins de nuits sans guitare que de jours sans pain, on partageait tout et on n’avait rien » nous prédisait un autre JoJo (Dassin). Ici, c’est avec sa guitare que JoJo Orme mène le bal : un regard perçant, entre défiance et mystère, l’incantation sombre et hypnotique peut commencer.
La voix de Jojo Orme s’élève, autoritaire et hantée, elle emprunte déjà la dextérité lyrique d’une PJ Harvey, l’incantation douce d’une voix aérienne à la Natasha Khan (Bat For Lashes). Puis, le tonnerre gronde et la tension monte, prémices d’une soirée à thème qui respire l’urgence brute du post-punk. Et on peut aussi compter sur Jojo Orme pour symboliser le « Qu’est-ce qu’on était fous, qu’est-ce qu’on s’en foutait, Qu’est-ce qu’on était bien ». Car ce fut le cas, un concert loin des messes noires, poésies froides et apocalyptiques auxquelles on pouvait s’attendre, tout en tension , drapé de noir mais avec des beats dansants façon LCD Soundsystem mettant en avant le chant habité de Josephine. La londonienne aura su nous faire entendre également le silence de la foule, durant une longue minute, hommage théâtral à un public prêt à tomber sur le champs du noise . Le label Speedy Wunderground a bien fait de signer Josephine Orme, à l’allure à laquelle elle avance, elle finira vite en tête d’affiche.

Le concert est passé et mon cœur saigne déjà. Après la femme, le feu Tramhaus m’est promis. Je ne présente plus la tornade post-punk venue de Rotterdam, c’est la 6ème fois que je vois Tramhaus jouer et je ne me lasse pas du groupe de Jim Luijten. Un concert de Tramhaus, c’est une bande de copains qui donnent tout, comme si c’était la première fois et peut-être aussi la dernière. La voix de Jim est écorchée et habitée, oscillant entre prêche fiévreux et hurlement primal. Jim le chanteur semble possédé, un regard bleu incandescent, un corps en perpétuelle convulsion. Premiers accords, la guitare tranche l’air comme une lame rouillée, la basse vrombit tel un moteur sur le point d’exploser. Les morceaux s’enchaînent sans répit, martelés par une batterie qui cogne comme un cœur en overdose. Le public est en transe. Ça slame, ça hurle, ça tangue dangereusement. Plus rien n’existe hors de ce maelström de bruit et de sueur. À voir absolument, avant qu’ils ne deviennent trop grands pour les petites salles.
Une onde de choc nous est également promise avec le noise-punk de DITZ. Le groupe venu de Brighton déménage tout sur son passage et ce n’est pas parce que la tenue de Bob n’est pas dans les standards du métier qu’il fallait en douter. Au contraire. Le charismatique leader Cal Francis à la coupe de cheveux d’abord à la Duguesclin puis Sansa Stark compte bien s’assoir sur le trône de fer du post-punk apocalyptique. Premier constat, on reste dans les Yéyés de JoJo, du moins d’un point de vue capillaire, car ce sont les couettes de Sheila que porte le resillé Cal. Pas le temps de flasher, une guitare stridente fend le silence, dissonante, acérée comme une alarme en pleine nuit. Puis vient déjà la déflagration : basse lourde, batterie qui claque comme un coup de fouet, et cette voix, insaisissable, tour à tour murmurée et hurlée, comme si Cal Francis oscillait entre extase et crise d’angoisse. Taxi Man ouvre le bal, abrasif et dérangeant, une montée en tension permanente où chaque break semble annoncer un crash imminent. Le public vacille, pris dans la tornade. Four enfonce le clou avec riffs étouffants et rythmique martelée comme un mantra destructeur. Le bruit devient une entité, quelque chose qui enveloppe, agresse, hypnotise, puis vient une accélération, le taxi est déjà en mode bolide.
Et puis… la folie. Cal Francis quitte la scène, microphone à la main, serpentant à travers la foule, fixant chaque spectateur droit dans les yeux comme pour sonder son âme. L’espace entre la scène et le public disparaît. On est dedans, pris en otage par ce chaos magnifique. C’est donc lui, Cal Francis, le dieu ou l’ange loin d’être déchu qui s’apprête déjà à nous faire grimper aux rideaux et par la même occasion monter vers les cieux en passant par le mur d’enceinte qui relie la fosse au balcon. Mais que fait la sécurité ! Vu d’en bas, le Monsieur en rouge ne gronde pas le chanteur, il y est arrivé, magnifique Cal Francis, et contemple déjà ses fidèles ravis. Space/Smile, c’est la banane qui se lit sur nos visages.

Point de rupture. Hehe et Teeth explosent, au bon souvenir du premier opus de DITZ, The Great Regression. Ici, au contraire, c’est l’expansion du mouvement, des vagues de pogo sur une mer de plus en plus agitée. Cal Francis, qui jusqu’ici alternait verre de blanc avec verre de rouge, communie maintenant avec son public les plus assoiffés par tant de mouvements. Il arrose littéralement ces derniers de vin qui attache directement dans le gosier. Un instant, pour moi en forme d’uppercut et de reculade, vers le balcon, où je prends de la hauteur pour admirer dans son collectif le groupe DITZ : murs de guitares saturées, batterie en roue libre, basse omniprésente. Puis viennent les classiques I Am Kate Moss et Ded Würst. Injonction de Cal Francis à son public de lancer le circle-pit. Celui-ci obéit, il ne bronche pas, au contraire il jubile. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut vivre un concert aussi intense. L’impression de déchaînement collectif est surprenante, le charismatique chanteur à réussi à projeter indoor une ambiance de festival outdoor, le toit de la salle Antipode a disparu, on ne voit plus que le ciel étoilé, le public est aux anges et No Thanks I’m Full clot ce concert pendant que sur ces talons léopards le félin équilibriste domine son public, jonché sur les deux enceintes posées au sol. Un exercice d’équilibriste parfait entre tension, rage, folie, décadence et surtout talent. Et puis, d’un coup, plus rien. Silence. Une tension reste longtemps suspendue dans l’air, encore vibrante. Nous avons encore le souffle coupé.
KO, Knock-out. Assommé. Que dire après tout cela ? C’est jeudi, « Je peux pas j’ai basse ! ». Non, je ne crois pas. Il reste à éventuellement récupérer son petit singe au vestiaire et rentrer cramé après s’être approché, sans jamais souffrir, des flammes du Paradis.