LEVITATION FRANCE Angers 25 mai 2024
Live-report rédigé par Fabrice Droual le 28 mai 2024
Il est d’usage de reporter les concerts d’un festival dans l’ordre du line-up. C’est donc ce que je vais faire en ce second jour du Levitation France à Angers malgré une envie irrésistible de vous dire d’entrée de jeu qui est le patron du week-end.
Ce samedi débute donc dès 16h sous un ciel gris, les lunettes de soleil sur le nez, histoire de rester incognito (non, je plaisante !) prêt à enchaîner les dix concerts qui vont se succéder sur les deux scènes Elevation et Reverberation (d’où les lunettes!). C’est une nouvelle fois avec un français, Quentin Le Gorrec et son groupe Hayden Besswood inspiré par Tame Impala que les premières notes de musique s’échappent des enceintes. Un set calme de trente-cinq minutes idéal pour une montée progressive en puissance.
Ce sont les américains de Daiistar qui vont faire monter le son. Ce groupe indie alternatif formé à Austin, Texas, au printemps 2020, s’inspire de l’ère néo-psychédélique des années 80s et 90s (The Jesus and Mary Chain, Spacemen3, Primal Scream). L’esthétique dark affichée du duo Misti Hamrick (Basse grave/voix) Alex Capistran (guitare/voix), relevée par la légèreté des synthétiseurs modulaires de Derek Strahan et la batterie lourde de Nick Cornetti, crée un mélange de bruit et de mélodies du plus bel effet. Le groupe vient de signer sur le label britannique Fuzz Club et leur premier album Good Time est sorti fin 2023.
Très belle découverte pour moi ensuite avec les irlandais de MELTS, liés au même label et composés de Eoin Kenny à la voix très singulière et au déhanché Morrissien (quel bel usage du fouetté de poignet !), Robbie Brady aux synthés, Hugh O’Reilly à la guitare et Gaz Earle à la basse. Formés en 2017, ils ne semblent pas très prolixes en studio, n’ayant sorti que deux albums, mais s’avèrent très bon en live. Il faut dire qu’ils ont bourlingué en terres irlandaises et ailleurs, assurant nombre de premières parties (Fontaines D.C. en particulier).
Mélangeant le psyché-rock et le post-punk, le groupe mené par Eoin Kenny aux yeux cachés sous des lunettes fumées (lui aussi) crève l’écran du gros son et apporte un peu de subtilité dans ce monde de brute. Leur deuxième album, Field Theory, est disponible depuis le 12 avril dernier. Enregistré live, il est produit par Daniel Fox de Gilla Band (si vous le croisez, portez des bouchons de protection d’oreilles !).
Je vous passe les détails du coin des gars et son fameux cornet plastique où il faut bien viser et nous voilà au 1er rang pour les très attendus Hooveriii (dites Hoover Three ). Cette fois-ci, ils portent bien leur nom, puisqu’ils ne sont que trois justement, contrairement à leur composition plus importante à l’édition d’hiver de la Route du Rock. Ce groupe américain de rock psychédélique flamboyant comme la couleur de la combinaison de peintre mouchetée rouge de Kaz Mirblouk (basse et synthé) est conduit de main de maître par le virtuose guitariste et chanteur Gabe Flores. Owen Barrett, le batteur chevelu et souriant, complète l’attaque gagnante de ce trio qui nous entraîne dans un tourbillon de riffs, d’effets fuzz et de mélodies imparables. C’est le son d’un groupe au sommet de sa puissance ascendante mais qui cette fois (contrairement à mon impression hivernale) maîtrise mieux les décibels, même s’ils ont été flashés à 107 décibels par la patrouille de l’oreille. Pas d’inquiétude pour eux que les gendarmes ne se présentent à l’écoute de leur dernier album, Pointe, beaucoup plus doux et subtil que le set de ce soir. De toute façon, tous les goûts sont dans la nature et Hooveriii gagne ce week-end le prix du pogo le plus long du public. Un enchaînement de tourbillons et slams gentillets qui ne laissera personne sur le carreau. Une fin prématurée du set, tandinite du poignet ou mauvais réglage de l’horloge interne de Gabe, accélèrera la fin des débats. Dommage on aurait bien pris un petit supplément.
On reste de ce côté de l’Atlantique avec les canadiens de Ghostwoman, originaires de la petite ville de Three (encore !). Evan Uschenko, le fondateur du groupe, pensait probablement que les printemps étaient rudes en France, puisqu’il a gardé son bonnet orange sur la tête. Il œuvre aujourd’hui en duo avec Ille van Dessel qui co-signe les compositions de leur troisième album (en dix-huit mois !), Hindsight Is 50/50. La batteuse frappe d’entrée très fort et malmène mes tympans, je prends donc du recul malgré la reconnaissance évidente du talent de ces deux-là et des titres magistraux comme Alright Alright ou le puissant Yoko.
Saturé le chroniqueur ? N’oublions pas que je veux préserver mon énergie pour Fat White Family. Second wrap vegan du week-end et je laisse filer les américaines Deap Vally et leur blues rock. Sacrilège pour certains, car c’est avec cette tournée que Julie Edwards (batterie et chant) et Lindsey Troy (guitare et chant) achèveront leur voyage musical entamé il y a plus de dix ans pour se consacrer à leurs autres envies de vie. Il faut dire que cela constitue le treizième concert du week-end, je vais donc encore rater Rendez Vous, ce groupe français qui chante comme des américains et abandonner très vite Lysistrata que j’avais trouvés beaucoup plus mélodieux à la Route du Rock. A quoi cela sert de gagner le concours des décibels, quand la moitié du public est constitué de jeunes nus des oreilles (allo docteur, ça siffle, c’est bizarre !). Mais passons aux choses sérieuses !
Le Premier album de Fat White Family s’appelait Champagne Holocaust. Il est sorti il y a onze ans et en cette fin de soirée, à 23h55, c’est la boisson que j’aimerai savourer pour compléter à merveille l’instant magique que je viens de vivre. C’est mon deuxième concert des anglais et je pense sincèrement que contrairement à ce que Lias Saoudi laisse en ce moment entendre, je n’ai pas à faire à un imposteur mais à un génie. Le leader du groupe anglais est un patron et un chef de gang. La toute première chanson du disque cité plus haut se nomme Auto Neutron, elle résume à elle seule ce que j’aime chez ce groupe et particulièrement chez son leader, un électron libre. L’univers musical est complexe et riche d’instruments à vous couper le souffle (Alex White fait des merveilles au saxophone et à la flûte traversière), à vous faire surfer et libérer votre énergie : batterie en retrait mais présente, guitare électrique et basse de part et d’autres avec Adam J Harmer et Nathan Saudi, le petit frère avec qui Lias ne parle plus. La voix lascive du leader vous intrigue d’abord, puis vous met la chair de poule. On démarre doucement, on s’endort presque et tout se déchaîne, la bête Lias se révèle, crie, explose dès l’ouverture du concert comme sur disque.
Je fais un pari sur une entrée fracassante en slip peau de pêche qu’il arborait voilà deux ans à la Route du Rock. Oui mais voilà, l’homme s’assagit et c’est en gentleman charmeur qu’il entre en scène avec ses musiciens sur un titre de Robbie Williams, Angel. Les filles crient déjà, il faut dire que Lias présente très bien du haut de ses trente-sept ans dans son costume en lin blanc. Il s’est refait une pureté, il le dit lui même en interview *. C’est donc avec le titre John Lennon que commence la démonstration. La structure de celle-ci se prête à merveille à la montée en puissance attendue et le morceau se termine après cinq minutes, déjà en apothéose. Lias est à quatre pattes, le visage torturé, hurlant et mimant l’accouplement (quid de la mesure du lâché prise !). On enchaîne rapidement avec Without Consent aux faux-airs des Violent Femmes, Lias déboutonne sa veste, arpente la scène, harangue le public un peu timide, et l’encourage à se manifester. Vous en voulez déjà plus? Ok c’est parti avec Tinfoil Deathstar. Le chanteur vérifie la longueur du câble de son microphone, franchit la barrière après avoir déplacé délicatement le pull d’une spectatrice (un vrai pro) et voilà notre athlète déjà au milieu de la foule, debout puis sur le dos pour une minute de slam. Atterrissage en douceur du bon côté de la barrière, relaxation allongée sur scène en pose beau gosse à la plage et le voilà reparti dandiner façon Gadel (un petit air de ressemblance tout de même, qui a emprunté le physique de l’autre ?).
Il nous chante un merveilleux Touch The Leather pendant que son frère joue derrière lui sur ce gimmick de guitare génial. La batterie et Lias sont désormais copains, il s’en approche sur ce titre et balance son postérieur sur le bon tempo, cela attire l’œil des derniers convives restés à ce stade insensibles. Vous n’avez toujours pas compris qu’on assiste au concert du week-end ? Bougez messieurs dames les 4100 privilégiés ! C’est le paradis sur terre avec le morceau Heaven On Earth, la veste est tombée, on bout. Petit répit avec les titres plus lent du nouvel album, il ne manquerait plus que le beau Lias sache chanter pour décourager le peuple. Pas besoin de beaucoup de temps pour comprendre qu’il peut le faire sur Visions Of Pain et, encore mieux, sur Religion For One. Je deviens midinette devant cet ersatz de crooner. Que dire de Satisfied et l’accompagnement au trombone par Alex White ? Lias est la souris gracieuse qui danse avec l’éléphant. Je me suis trompé de pachyderme, il va bien se tenir jusque la fin du set.
Fin de la décadence du groupe le plus sulfureux de la planète avec What’s That You Say. Doit-on cette transformation au départ définitif de Saul Adamczewski ou à la fin d’une folie dangereuse autodestructrice consumée à la cocaïne? Les deux, probablement. Malgré toutes la démesure de ce groupe et les frasques sulfureuses de son ou ses leaders de l’époque, Feet et Whitest Boy On The Beach sont des titres qui ont laissé des traces dans la discographie des anglais et qui font sacrément danser le public ce soir, avant le dernier bain de foule de Lias. Au plus près du public, il se laisse palper, rouler, embrasser et ne nous envoie pas bouler. Au contraire il relève les manches et finit torse nu, c’est du très bon boulot sur Work qui clôture ce concert. Et si c’était le dernier groupe de rock & roll que nous avons vu se produire ce soir? Le dernier rempart créatif d’une époque ou tout doit être contrôlé ? Merci Lias et les Fat White d’entretenir cette flamme, reposez vous bien ! une tisane et au lit, car je veux écouter votre 5 ème album dans 2 ans.
Merci au Levitation France de nous avoir proposé ces Titans pour terminer ce week-end de toute beauté. C’est avec satisfaction, élévation, réverbération et bien sûr lévitation que je quitte Angers sans dire au revoir à Hint, dernier groupe programmé ce soir. Merci aux artistes, aux 4100 spectateurs de ce soir et à l’équipe du festival qui nous annonce déjà une 12ème édition, délocalisée du Chabada, encore plus grande, plus belle et qui, je l’espère, conservera cette âme de festival à taille humaine. A l’année prochaine avec une fabuleuse programmation.
* » Je suis devenu un mec chiant entre deux âges, qui prend des bains comme un trou du cul. Je garde maintenant une certaine mesure quand je lâche prise » (interview MOWNO)
*crédit photos Robert GILL