PJ HARVEY l’Olympia 13 Octobre 2023
Paris, Olympia – 13 octobre 2023
Quel est le rapport entre Vincent Dedienne et Polly Jane Harvey ? Aucun, allez vous me dire, étonné par cette question ! Détrompez-vous, ils ont foulé une scène parisienne tous les deux en même temps le week-end dernier. Banal ? Pas tant que cela. Pour le premier, nous étions dans un registre différent de La Flamme, et pour la seconde, nous la retrouvions après sept ans d’absence. La seconde est à l’origine de mon déplacement à Paris et dans mon cœur reste La première. Le premier m’a souvent fait sourire et ne joue pas les seconds avec la pièce de Eugène Labiche Un chapeau de paille d’Italie en ce vendredi 13 octobre. J’arrêterai là la comparaison, mais exprimerai quelques similitudes lointaines qui ont ravi mes yeux et mes oreilles.
Une scène, un plancher où sont disposés avec sobriété des vieux meubles, un fauteuil, une chaise. Une table sur laquelle ont été posés pour PJ Harvey une carafe d’eau et plusieurs verres, pour Vincent un porte chapeau de paille disparu. Des robes et costumes, taillées sur mesure dans du beau tissu, d’une autre époque. Un éclairage, parfois tamisé, souvent vivant et animé. Sublimant la personne sous un halo presque divin. Un orchestre, sur scène ou au balcon, donnant vie à la scène et relevant les émotions et les textes. Les rythmes de Feu! Chatterton au Théâtre de la Porte Saint-Martin. PJ Harvey et ses fidèles musiciens à l‘Olympia (le batteur français Jean-Marc Butty, le multi-instrumentaliste Giovanni Ferrario, James Johnston guitariste-violoniste, sans oublier son complice de toujours, John Parish). La couleur rouge est le fil conducteur à ces deux soirées. Tabouret au velours confortable au placement de mon fondement en loge de corbeille, côté théatre et lettres de noblesse inscrites au fronton lumineux de la salle mythique pour la reine Polly. Et c’est là que commence le jeu des différences.
D’abord, l’ouverture des portes. 20h, côté Saint-Martin. Dans une ambiance feutrée avec hôtesses et hôtes d’accueil parfaitement taillés de rose, nous progressons facilement et rejoignons la loge par les escaliers de cet ancien opéra de 1781. L’absence de fouille est remarquable, il faut croire qu’on fait confiance à ce public, un peu plus âgé il est vrai, que les manifestants entendus à quelques encablures Place de la République (mais ce n’est pas le sujet !).
Côté Olympia, c’est à 18h15 que l’étrange procession commence. Et encore, je parle des plus téméraires comme nous (mon épouse et moi) ! Oui, nous avons pris le temps de nous désaltérer d’une bonne bière avant le marathon. C’est étrange, les fans de la première heure sont parqués dans des mini enclos sur le trottoir Boulevard des Capucines. En bête docile, ils et elles ont laissé se refermer les barrières à chaque intersection pour les plus « courageux » dès le début de l’après-midi. Des grappes de spectateurs piégés se retrouvent ainsi sur près de cinquante mètres. Pénurie de barrières ou différence de catégorie ? c’est à la queue leu leu ou à la file indienne, qu’en indigène, nous nous positionnons à cent mètres de l’antre. Les passants nous interrogent de façon innocente. Mais pourquoi faites-vous la queue, pour acheter votre billet ? Non pour le plaisir de parler à des gens qu’on ne reverra plus ! Suis-je tenté de répondre. C’est la seule façon de se placer en pole position !
18h30, ouverture de la première barrière, avancée saccadée sous les ordres d’un vigile capable à lui tout seul d’arrêter un groupe de cinquante personnes à l’intersection de la Rue Edouard VII. Le fan de PJ Harvey est très obéissant. Je passe rapidement le hall, qui ne ressemble plus à ce qu’il devait être il y a cent-trente ans, au moment de l’inauguration de ce qui est le plus ancien music-hall de Paris. La preuve on peut y venir en trottinette et glisser sur roulettes vers la fouille ! Une palpation ne fait jamais de mal lorsqu’elle n’a pour conséquence que de vous autoriser à assister au concert de PJ harvey A une lettre près, la même palpation peut se transformer en cauchemar, alors notre seule souffrance du moment est d’attendre en fosse au cinquième rang pendant une heure le début de la première note. Un mal pour un bien.
Au jeu des comparaisons, le public n’est pas si différent entre théâtre et concert. A part le nombre et sa position exclusivement assise côté Saint-Martin, celui-ci se ressemble. Avec ses castes : « Messieurs Dames de l’étage, nous vous avons attendu jusque 20h10 pour les mieux placés ou les mieux invités ? ». Avec sa moyenne d’âge, équilibrée dans les deux cas, même si le poivre et sel est une tendance tout de même plus affirmée côté Saint-Martin. Et avec son pluralisme de nationalités et de personnalités.
A l’Olympia j’observe autour de moi, mes frères et sœurs d’écoute, appliquer différentes méthodes d’attente. Du doux rêveur parisien au carnet de croquis animé durant tout le concert, au patient lecteur de roman ou d’application de téléphone pour apprendre l’Italien, chacun trouve son astuce pour passer le temps. Moi je bavarde, je ne peux pas m’en empêcher ! Oui, ça parle Italien derrière moi, Anglais sur le côté, l’accent du sud-ouest domine la mêlée sur le devant. Les bretons sont nombreux, il faut croire que le OUIGO est fait pour nous. Quand on pense que je vais passer autant de temps à attendre l’arrivée de l’anglaise en Gare Olympia que de voyager à grande vitesse entre Rennes et Paris… Il faut dire que la reine s’est fait attendre. Sept ans que l’on ne l’avait pas vue. PJ Harvey avait mis sa carrière musicale en pause depuis son précédent album, The Hope Six Demolition Project. Elle a même songé à arrêter de chanter, préférant l’écriture et la lecture. Oh la belle idée, oh le bel album qui nous a été déposé en Juillet dernier, I Inside The Old Year Dying.
C’est donc avec les premières notes de Prayer At The Gate que le public attentiste devient attentif et ne cessera de l’être durant les quarante-cinq minutes de cette première partie de concert. La prêtresse vêtue d’une robe blanche arpente la scène en ces quatre coins et joue gracieusement avec la lumière des projecteurs. Ses déplacements dessinent une chorégraphie mystérieuse et déjà envoûtante. Ses bras implorent les dieux, les vivants, ses musiciens puis le public. Elle nous cherche du regard et chacun prend cette mise en scène pour une retrouvaille individuelle. Depuis le cinquième rang, j’observe, caché dans la pénombre de cette salle silencieuse, sur la pointe des pieds, les bottes de la belle. J’écoute cette voix, d’outre disque, aérienne, légère, précise, fidèle et je suis déjà en pleine méditation.
L’apaisement est convoqué sur ce douzième album et seuls les applaudissements et encouragements entre deux morceaux font écho au chant de Poly Jane, parfois accompagnée par son complément masculin John Parish ou quelques bruits de ferme, de clocher, de chuchotement d’enfants et d’oiseaux. Souvent debout, parfois accroupie, tout en recueillement, sa silhouette fragile se distingue des projections visuelles façon peinture craquelée ou écorce de bouleau. Il faut attendre trente minutes pour que l’ancienne reine du rock indépendant saisisse une première guitare électrique sur le morceau plus musclé, A Child’s Question, August. Pas besoin de carillonner les cloches du mariage sur I Inside The Old I Dying, on l’aime déjà notre belle anglaise. Au passage, la similitude entre ce décor théâtral et l’animation proposée dans le vidéo clip est marquante. On y retrouve cette branche d’arbre séchée mais encore vivante, déposée ce soir dans un vase et sur le fond blanc de la pochette de l’album.
On continue dans l’ordre de l’album et on sublime le moment sur August et sa nouvelle référence au King (« Love me tender/Love me sweet ») puis avec la voix de John Parish sur A Child’s Question, July. A Noiseless libère les oiseaux puis la chanteuse, qui quitte la scène, laissant la première place à ses quatre musiciens pour une version très Irish de The Colour Of The Earth.
20h50, place à la seconde partie du show avec douze morceaux plus anciens. Appelant immédiatement la cavalerie à la rescousse sur The Glorious Land puis distillant des morceaux savamment choisi extrait des albums Let England Shake, Is This Desire ou To Bring You My Love, le choix est parfait. Il me satisfait mais rend trop hystérique deux bavardes qui s’attendent à pogoter sur les prochains titres. Pas assez de muscles même avec l’usage de la guitare électrique à leur grand désespoir ! Que dire de l’autoharpe de The Words That Maketh Murder et de la voix assurée sur The Garden qui nous prouvent s’il en est besoin que PJ Harvey est bien la maîtresse des lieux et pas ces deux gamines dérangeantes et mal élevées. Mais l’endroit ne se prête pas à la colère, plutôt une nouvelle fois à la belle émotion à chair de poule sur The Desperate Kingdom Of Love.
L’agitation collective et justifiée finit par arriver sur le puissant mais sage Dress à mille lieues tout de même de la surpuissante version jouée vingt ans plus tôt au V Festival. Down By The Water et le formidable bluesy To Bring You My Love clôturent cette seconde partie avec une précision chirurgicale. C’est le moment choisi par l’anglaise pour saluer le public et ses musiciens. Nous lui rendons la pareille, avec ferveur et enthousiasme devant autant de talent et de grâce. Une dernière fois, PJ Harvey revient nous toucher au plus profond de notre être lors de son rappel en interprétant avec force le hit C’mon Billy, suivi du sublime et touchant White Chalk, un harmonica posé au bout des lèvres.
Il n’y avait en réalité que très peu de chances que Polly Jane rencontre Vincent, si ce n’est dans mes yeux. L’émotion ressentie est sans commune mesure et mon cœur s’envole du côté de la Grande-Bretagne et non pas de l’Italie. La musique est aussi une interprétation parfois théâtrale et il est si bon de sourire ou de rire de ces émotions qu’il ne faut pas s’en priver. Je fais un voeux, ou une prière à la comète Polly Jane : merci de revenir nous voir au moins tous les sept ans.
crédit photos Robert GILL pour SOUND OF VIOLENCE.