La Route du Rock Hiver n°19-Vendredi 28 Février 2025 : « Qui ménage sa monture voyage loin. »
couverture pour Sound Of Violence Live-report rédigé par Fabrice DROUAL le 2 mars 2025
KO debout au 1er round d’une belle entame de la Route du Rock Collection Hiver, on est rentré hier en Taxi Man, tellement Cal Francis (DITZ) nous a percutés. Aujourd’hui, après une grasse matinée, un petit déjeuner beurré salé, des huitres fraîches et un muscadet, on a retrouvé les clés de la voiture et le sens de la fabulation. Enjoy Saint-Malo, ses emblèmes, son « hermine passante » cravatée d’or et son Yaourt « Malo » en pot de carton. Si l’hermine est « passante », c’est parce qu’elle ne s’arrête jamais vraiment. Elle est toujours en mouvement, toujours élégante, toujours royale comme le programme concocté par l’association Rock Tympans une nouvelle fois cette année.

A force de rouler à toute berzingue, on va finir dans le décor ! Démarrons tranquillement avec ce groupe suisse Reymour. Échappés des brumes suisses et ancrés à Bruxelles, Luc Bersier et Lou Savary façonnent une électro sensible sous ce nom. Leur recette ? Un alliage subtil de minimal wave vaporeuse, de synthpop mélancolique et de chanson française métamorphosée, comme si un enfant chantait de la new wave qui passerait du dark au bright wave : une musique synthétique, faussement naïve et terriblement reposante. Libérez les bouchons d’oreilles !

Pas le temps de garer la voiture électronique au garage, que voilà déjà les cylindres brut et nerveux de Delivery qui se mettent en action. Les Australiens balancent un garage-punk affûté et ultra-efficace depuis 2020. Au volant, Rebecca Allan & James Lynch, piliers de la scène locale, qui envoient du riff nerveux et des beats survoltés. Yes We Do en 2021, puis Forever Giving Handshakes en 2022 et enfin Force Majeure en 2025 : un concentré d’énergie enfermée sous sillons qui cogne quand on la libère sur scène. Du punk frontal puissant, rapide et taillé pour la route, le chaos et les pogos.

From Melbourne to Saint-Malo, le Yaourt est secoué, l’eau mélangée au lait et il n’y a déjà plus que la bière qui mousse ce Vendredi soir à 22h30 quand Tor Maries alias Billy Nomates entre en scène. Ou du moins quand elle devait arriver, car le train entre Bristol et Saint-Malo semble avoir du retard. C’est un changement de plateau interminable pour certains, qui s’impatientent en louchant sur les simples scotchs colorés posés au sol à coté d’un microphone, désespérément abandonné. Pour d’autres c’est l’occasion de passer au stand de merchandising, au comptoir ou à la roulotte pour engloutir une troisième galette-saucisse (placement de produit incontournable quand tu écris from la Route du Rock). C’est pieds nus et donc seule que Billy The Queen va affronter son public. Pour la petite histoire, c’est après un concert de Sleaford Mods qu’elle commence à écrire son premier album sous le nom de Billy Nomates. La dame en a sous le pied (nu), ou plus justement sous les poings lorsqu’elle balance, ses textes ciselés, comme on donne des coups, slame et danse sous des sonorités qui flirtent avec la post-punk, la new wave, et l’électro minimaliste puis virent rapidement vers des grooves bruts, des beats déstructurés, chaleureux et entraînants . Une voix singulière qui balance ce soir sur bandes un No ou vous fout le Vertige sur le titre éponyme Vertigo. Billy, c’est la voix de ceux qui en ont marre des petites combines politisées et des discours aseptisés. Un peu no future, un peu Fuck You, et surtout vraiment pas là pour plaire. Une Chrissie Hynde 2.0, au charme fou, qui a lâché la guitare, mangé de la lionne, et œuvre d’un magnifique demi fouetté de microphone à la Morrissey.

Au suivant ! Next, ou plutôt The Ex. je n’ai pas de honte à le dire, je n’avais jamais entendu parler de ce groupe malgré ses quarante-cinq ans d’existence et son 2 000ème concert dans 45 pays différents. Pour l’occasion, le quatuor d’Amsterdam né à l’explosion du punk en 1979 remontait sur scène pour la première fois depuis une pause du groupe en 2020. The Ex, c’est du punk qui s’est réinventé mille fois, du rock abrasif et inclassable. Dès les premières cordes grattées, tu sens que ça va être intense. C’est brut, c’est chaotique, mais putain, c’est aussi d’une précision millimétrée. Les rythmes infernaux et les guitares, noircis par le temps, laissent échapper des cordes tordues en leur extrémité. Elles coupent l’air comme des lames de rasoir, maltraités à coup de brosse, de métal ou de baguettes en bois. Même une tasse à café glisse sur les cordes de Terrie Hessels, avant de finir en trophée dans la main d’un fan allongé. Quant à la batterie de Katrin Ex alias Katherina Bornefeld, elle frappe la tête comme on prend une claque, une sorte de transe qui maintient sur le fil du rasoir. À chaque chanson, on sent la tension qui monte, un truc imprévisible quand on n’attendait pas particulièrement ce groupe. Une instrumentation aux faux airs bordéliques, mais tellement maîtrisée. Un signe de fabrique « DIY », par ces précurseurs du post-punk qui ont inspiré de nombreux groupes comme Sonic Youth ou Fugazi.

Je n’ai pas vu le temps passé et, à 1h30, mon petit singe et moi avons envie de danser sur les grooves sortis du shaker de Getdown Services, l’équipée sauvage et déjantée de Josh Law et Ben Sadler. Un mélange sucré de slacker rock, de funk, d’indie, de dance, et d’auto dérision (c’est quand même mieux que l’Auto-Tune). Les gars ont un groove imparable, ce n’est pas juste du son, c’est une vraie expérience collective. Le public est là pour se libérer, et eux, ils sont là pour faire monter cette température, pour la faire exploser sous les ondes positives. Pas question de regarder passivement : quand Getdown Services débarquent, c’est pour foutre le feu, mettre les gens en transe. Ca tombe bien, j’en ai encore sous le pied ! Je veux aller au bout de la nuit du côté des démons de leur album Crumbs. « Ici, c’est la discothèque » finissent-ils par nous lancer. D’abord en short socquettes pour Josh et survêtement pour Ben, c’est torse nu et bourrelets assumés qu’ils termineront. Non sans avoir rendu hommage, dans l’ordre, à la France et sa musique (Shit), aux paroles de Champs-Elysée de Joe Dassin (le retour !) et à l’ADN de la Route du Rock dont ils sont les représentants incontestables de ces temps modernes et joyeux.
Promis, l’année prochaine je porte la moustache, j’ai trente ans et je me commande un hot dog sauce Malo.