Collection Hiver de LA ROUTE DU ROCK à l’Antipode de Rennes le 29 février avec Lambrini Girls et Lysistrata.
– Bonjour docteur…
– Je ne me sens pas bien, je ne sais pas trop ce que j’ai…
– Tirez la langue et dites 33.
– 18.
– Non ! Dites 33.
– 18.
– Hum ! Je pense deviner ce que vous avez. Vous vous sentez triste ? Un lieu vous manque ? Vous avez des impatiences et quelques fourmillements dans les oreilles ? N’est-ce pas ?
– Oui, c’est tout à fait ça.
– Ne cherchez plus, vous êtes atteint de routedurockspleenite aigue. N’ayez pas d’inquiétude, ça se soigne très bien. Je vous prescris une cure de deux jours à Saint-Malo, avec autorisation de sortie, mais présence obligatoire à la Nouvelle Vague entre 19h45 et 02h vendredi et samedi.
– Et je commence quand ? Je n’en peux plus d’entendre. Euh, d’attendre ! 18 ! 18 ! 18 !
– Ah oui, vous êtes bien atteint tout de même ! Je rajoute sur ma prescription une troisième soirée tout en douceur à l’Antipode le jeudi !
Me voilà donc, le sourire presque retrouvé, en bon chemin vers la salle de l’Antipode à Rennes, prêt à commencer cette thérapie de groupes (et que des bons !), que je ne retrouve qu’à la Route du Rock. Ma vue, jusqu’ici basse, retrouve déjà de sa hauteur en observant l’affiche de cette édition d’hiver et je comprends encore mieux mon mal-être en découvrant le chiffre inscrit sur celle-ci : 18eme édition (18 ! 18 ! 18 !). La programmation de cette première soirée, en cette période de vacances (d’hiver), a attiré plus de personnes que prévu. C’est là une très bonne nouvelle, puisque la jauge du club a explosé. C’est finalement dans la grande salle que le concert de ce soir va se jouer, à guichets fermés.
Comment expliquer cette affluence un jeudi soir de vacances sans étudiants, du côté de Rennes ? Cette jeunesse devait « normalement » rentrer chez papa-maman pour les vacances, histoire de rattraper le retard dans le lavage des chaussettes, manger trois repas par jour et dormir plus de six heures. Oui mais, très cher, cette image d’une société estudiantine date d’une autre époque (la mienne, bien sûr) et la jeunesse a désormais d’autres priorités que de laver son linge sale en famille ! Elle préfère (et on peut la comprendre) refaire le monde et bousculer le bon vieux modèle familial d’une société patriarcale ou… stop ! Je n’ai pas vocation à lancer ces sujets de société sur ce site, qui ne se veut que conteur d’histoires de musique. Passons.
Toujours est-il que la soirée à l’Antipode est estampillée « anarchie » avec les trois filles de Brighton : les Lambrini Girls, fervantes défenseuses de la communauté LGBT+. Le trio britannique vient de sortir un nouveau single incendiaire God’s Country sur le label City Slang et compte bien ranger chez Madame Tussauds (équivalent de notre Grévin) Johnny Rotten et les siens, avec tout le respect qui s’impose. God Save The Queen, and the Queer.
On m’avait promis un concert tapageur, féministe, punk, avec en limite, le mur du son sur guitares nourries à trois accords. Ce n’est pas le sentiment qui se dégage de cette prestation upercut que nous proposent Phoebe Lunny (chant/guitare) et Lilly Macieira (à la basse), accompagnées de la batteuse du groupe, restée plus en réserve. Les tueuses en Bikini nous servent donc un punk énervé, dynamique, à rendre fou le photographe. Elles qui prônent un monde du rock inclusif séparent, dès le second titre, la salle en deux par un cable de microphone que Phoebe déroule derrière elle. Avant de revenir à pas cadencé, arrondir la foule massée autour d’elle, lui ordonnant de s’asseoir pour mieux communier.
l’homme blanc hétérosexuel aurait pu se sentir bousculé, isolé dans les cordes, mais la hargne exprimée ce soir paraît militante plus qu’agressive, Phoebe arborant un short de boxe rose fait mouche (probablement sa catégorie en championnat WBA) et se contentera d’upercut vocaux à l’huile d’accords, finalement plus nombreux qu’imaginés. Queer revendiquant une liberté que l’on trouvait jusqu’à présent normal de limiter, les Lambrini Girls ont réussi se soir à rendre le sourire à une jeunesse qui n’ira pas mettre le feu à votre poubelle, mais simplement (je l’espère) laissera trainer ses chaussettes, short et tee-shirt au milieu du salon. Kevin, va ranger ta chambre ! Un petit Fuck et puis elles s’en vont, les poétesses anglaises. Première partie d’un groupe français. On se croirait dans un épisode de Lost, avec une inversion des pôles et un retournement d’île, l’Angleterre).
Toujours est-il, que ce sont les Français de Lysistrata que nous retrouvons en tête d’affiche sur cette grande scène. Pas simple de reconnaître ce petit accent franglais, tant le chant de Ben Amos Cooper est d’une prononciation niveau C2. Normal ! Le batteur-chanteur est britannique et, même s’il a connu ses deux camarades de groupe du côté de Saintes, il n’en demeure pas moins qu’il chantera exclusivement en anglais sur les treize titres joués ce soir. C’est le jour même, et non la veille, que leur nouvel album Veil est sorti sur le label Vicious Circle. Après le succès de Breathe In/Out en 2019, Lysistrata marquent, avec ce troisième opus, leur passage à l’âge adulte. Un peu plus pop que son aîné, le nouveau né est un disque créé pour danser (ou au moins bouger la tête), chanter (niveau A2 pour moi) et vivre ses émotions jusqu’à l’abandon.
Un album attendu bien au-delà du premier cercle de fans venu en masse ce soir et produit par Ben Greenberg (Metz, Algiers, Beach Fossils, DIIV). On reste tout de même dans une pop chantée musclée, showgazée, dans laquelle est injectée beaucoup de cordes et juste ce qu’il faut de clavier. Une très belle énergie en tout cas, entretenue par la batterie virevoltante de Ben, la basse de Max Roy et la guitare de Théo Guéneau, pourfendeur des riffs dissonants. C’est sur lui que la lumière des projecteurs s’alignera parfaitement ce soir. Et avec tout ça, on n’a pas réussi à ranger sa chambre Kevin ? Il faut croire que non, puisque le groupe propose au stand de merchandising la vente à emporter d’une paire de chaussettes estampillée Lysistrata. Pour une fois que les Amazones prennent le dessus sur Amazon, je cautionne.
Clôture d’une première soirée thérapeutique qui me remplit d’énergie. L’antidote Antipode a déjà fait son effet. Je me sens rajeuni, prêt à taper la discute avec Aristophane (2435 ans cette année le bonhomme) sur le combat des femmes qui se révoltent contre la domination des hommes (mais pas que !). Vivement la suite !