PIES PALA POP FESTIVAL 10 Juin 2023

Rennes, du 9 au 10 juin 2023

Live-report rédigé par Fabrice Droual le 14 juin 2023

Nous nous étions quittés sur le report du concert des Anglais de Italia 90. Nous nous retrouvons pour la seconde journée du festival Pies Pala Pop le samedi 10 juin, dans ce petit paradis champêtre au milieu d’une zone industrielle rennaise. Les Pies sont au rendez-vous et, fortes d’une première journée réussie, nous promettent une nouvelle fois des concerts de « qualité ultime ». Le pari n’était pas évident pour cette jeune association qui, à force de persévérance et de passion, va conclure cette seconde édition en apothéose. Il faut dire que les bénévoles font parfaitement le job, pour la plupart déjà riches d’une expérience d’organisation régulière de concerts à Rennes ou d’animation de radio locale (Canal B, la radio curieuse). C’est donc une nouvelle fois avec un sourire partagé et les oreilles alléchées par ce programme, que j’arrive sur site en cette fin d’après-midi, aux premières notes de synthétiseurs du groupe toulousain Jokari.

La voix douce de Marion Josserand, accompagnée de quatre musiciens, nous accueille très agréablement. Cette pop française électronique semble intemporelle et colle parfaitement à cette génération de jeunes adultes à peine sortie de leurs études musicales (jazz pour Marion) et déjà pétris de talent. Les références aux souvenirs d’enfance ou à la série Twin Peaks troublent encore plus l’impression d’une jeunesse qui grandit vite et qui parle de choses que nous les « plus anciens » avons déjà entendues ou vécues.
Il faut dire que le revival vestimentaire de mes années boum, communs aux musiciens et aux spectateurs du premier rang, contribue également à cette échappée nostalgique. L’écriture couplet/refrain est maîtrisée et l’accompagnement synthé, guitares et batterie donne à l’ensemble un côté fort sympathique qui n’aurait pas déplu à Elli et Jacno et leur synthpop des années 1980. Le premier album de Jokari, Main Gauche, est sorti en décembre 2021 chez Another Record, AB Records et Cheptel Records.

Juste le temps de croiser une troupe de majorettes mixtes, bottes en l’air et baton tendu, les Majorennes, chargée de nous faire passer le temps sur une musique de Gotainer, et me voilà attentif à la prestation du groupe américain Air Waves. Il suffit de voir le sourire de Nicole Schneit et surtout d’entendre sa voix singulière pour être porté sereinement sur ces ondes aériennes bienveillantes. C’est une pop conviviale qui vous enveloppe et vous fait voyager, blotti dans un petit cocon douillet. Une folk Indie pop que l’on retrouve sur The Dance, son dernier album qui aura attendu trois ans avant de voir la lumière du jour (ndlr : sur westernvinyl en septembre 2022). On sent une force tranquille chez cette artiste et une complicité avec ses musiciens. La voix de son bassiste se mêle à la sienne sur plusieurs morceaux et c’est tout simplement beau, à vous filer la chair de pies (euh, de poules !) sur le titre Wait. Les mélodies rapidement inoubliables nous rassurent et nous rendent confiant. L’amour et la solidarité nous entourent à présent.

Le troisième concert de la soirée nous fait traverser l’Atlantique et revenir sur les bords de la Garonne et sa ville rose, « O Toulouse ». C’est le groupe très nerveux Radical Kitten qui passe la seconde et embraye aux ondes cotonneuses précédentes, un son puissant et un style « Rrriot post-punk queer and feminist » assumé . Démarrage trop rapide puisqu’il en coûtera une corde de basse et un intermède de présentation personnelle improvisé, entre revendications et explications de texte. Les riffs sont abrasifs, le rythme véloce et le set passe à toute bringue devant un public satisfait.

Un nouveau petit tour de majorettes, version nocturne avec les bottes qui scintillent, et je me prépare à la claque attendue de la soirée, les Ecossais(e) de comfort. Natalie et Sean, tous deux frère et sœur en provenance de Glasgow, ne devraient pas prendre de détour et nous présenter le fruit de leur travail, loin des conventions esthétiques dans un style synth hip-hop punk. Avant que ne se termine notre tour opérator Majorennes, Je suis touché par l’isolement des deux artistes, seuls sur cette scène, attendant un public toujours concentré à admirer les pirouettes de nos majorettes nocturnes. Pas besoin d’une horde de roadies pour Natalie et Sean. La batterie de Sean est vite installée (avec quelques problèmes de retour son) et la petite table basse, disposée à droite de la scène, accueille aisément le PC à la pomme de Natalie. Ils sont prêts.
Un appui sur la touche Enter et nous voilà immédiatement embarqués dans un monde parallèle. OVNI conventionnel s’abstenir. Les samples électroniques lâchés, c’est le rythme de batterie millimétrée de Sean qui libère l’énergie débordante et performante de Natalie. Une danse gracieuse à nos yeux , déjà conquis par tant de liberté et de spontanéité. On est loin des exploits lyriques sur ce chant hip-hop , qui nous rappelle furieusement celui de Jason Williamson leader des Sleaford Mods. Mais on s’en « cogne », on a juste envie de danser et de siffler respectueusement Natalie qui a la grâce d’un autre genre. Les textes sont riches, même pour ceux qui ne les comprennent pas. Ils sont libres et portent un message universel : « je fais ce que je veux » et « je vous dis pourquoi ». C’est anarchique, politiquement incorrect penseront certains, mais tellement assumé.

On explore les problématiques sociales et on conteste les idéologies réductrices relatives aux questions d’identité et de sexualité, avec le sourire et sans vulgarité. L’album What’s Bad Enough fait suite au premier EP All Fears, Fully Formed du groupe. Défiant les genres, il a vu le duo repousser les limites du son sans compromis. Enregistré avec Tony Doogan (Mogwai, Belle & Sebastian, Teenage Fanclub) aux studios Castle of Doom à Glasgow, le premier single Real Woman est un morceau édifiant et sans vergogne sur l’existence de la chanteuse Natalie en tant que femme trans. Les titres défilent, dont le revendicatif Real Woman ou le contestataire No Honest WorkWild And Fragile traduit bien ce côté sauvage et trahit une sensibilité et une fierté non feinte. Billionaire Potential dénonce une politique corrompue au service des banques et du capitalisme. Anarchie ou justice sociale ? C’est plus vers cette dernière aspiration que Natalie et Sean McGhee nous entraînent.
La comparaison de chant avec Sue Tompkins du groupe de Glasgow Life Without Buildings est à faire. Une voix engagée, accompagnée d’un groove électronique version 2.0 embarqué sur disque dur, avec batterie live propulsive et danse furieuse. Le résultat est un hip-hop industriel qui finit par mettre en transe un public littéralement conquis. Porté par leur unique album d’une durée de trente-et-une minutes, les douze pistes enchaînées sur un clic droit passent très vite et il est déjà temps de saluer nos artistes qui s’en excuseraient presque.
Le public en redemande mais Natalie a déjà disparu, derrière la bâche tendue de la petite scène. Rattrapée par l’émotion visible de son frère qui la rappelle et l’encourage à profiter de ce moment de congratulation largement mérité, elle réapparait pour un dernier salut. On reconnait dans ce genre d’émotions des personnalités vraies et des programmations de festival parfaitement en phase avec l’attente du public. Bravo !

La suite et fin du festival ne dérogera pas à cette observation, bien au contraire. Dans la catégorie OVNI, je demande la lune et je découvre le groupe américain Model/Actriz. Le quatuor composé du chanteur Cole Haden, du guitariste Jack Wetmore, du batteur Ruben Radlauer et du bassiste Aaron Shapiro, vient de sortir Dogsbody, son tout premier album. Sur fond sonore post-punk industriel rugueux, une dance music incisive accompagne la gestuelle suggestive de Cole entre tension des musiciens et liberté assumée une nouvelle fois du chanteur. Cole Haden, moustache magnifiée par un trait de crayon sur les lèvres, arpente langoureusement la scène, puis le parterre où il assène des regards prolongés au plus près d’auditeurs et auditrices subjugués, hypnotisés ou dérangés selon le cas. Les musiciens eux montent en pression et paraissent possédés, à l’image du guitariste aux yeux démoniaques et aux explosions de riffs accompagnés de pertes salivaires. Le bassiste est à deux doigts d’exploser les pédales overdrive et finit par jouer avec les trois cordes restantes sur son instrument malmené. Il faut dire qu’il le fait régulièrement virevolter à proximité des têtes des spectateurs du premier rang. J’en fais partie et suis littéralement assommé par ce son distordu et cet écrasement de fut et de grosse caisse, me rappelant un concert du groupe DITZ à la Route du Rock 2022. Cal Francis, le leader de ces derniers, faisant figure de « « garçon sage » en comparaison avec Cole Haden le provocateur. Les thématiques abordées liées à la sexualité déviante, à la marchandisation du corps et à la débauche épidémique se retrouvent également sur les vidéo clips du groupe et finissent peut-être sur la longueur, à coup de postures lascives, à se répéter. Le feu est mis dans la prairie du Jardin Moderne et il se propage au public qui se lance dans le pogo du festival en tout bien tout bonheur.

L’heure est arrivée de regagner ses pénates, oreilles bouchées, moral reboosté par tant de bons sons. Bravo aux Pies qui, certes, chicaillent , mais surtout assurent et nous ont proposé là une superbe programmation. Leur objectif affiché est atteint : « Des concerts de qualité ultime, des copain.es, des chatons mais pas que ! ». Il y avait aujourd’hui dans la personnalité de chaque chanteur(se) l’étincelle magique du talent et un vent de liberté réjouissant. Rendez-vous est déjà pris pour 2024 car il serait désormais trop déraisonnable de rater la future édition.

Crédit photos Fabrice Droual

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