LA ROUTE DU ROCK 18 Août 2023

Saint-Malo, du 17 au 19 août 2023

Live-report rédigé par Fabrice Droual le 18 août 2023

Chouette c’est le week-end, vendredi soir ! En route pour Saint-Malo se disent probablement un tas de citadins en quête de repos et d’iode. C’est le second jour du festival, se disent paniquées nos oreilles en quête d’un souvenir du monde d’avant, quand elles étaient ouvertes à 200% (oui, comptez bien, on en a deux !) et sans bourdonnements. Quoi qu’il en soit, c’est ce que ressentent probablement les jeunes auditeurs imprudents qui, pensant simplement passer voir l’apothicaire (les Viagra Boys n’étant pas « out » à ce moment-là), sont tombés la veille nez à nez avec Dara Kiely (Gilla Band).

Leurs oreilles sifflent encore et, à l’approche du fort, c’est un soulagement qui semble se lire sur leurs visages en entendant les premières notes de harpe jouées par Camille, du groupe français Grand Blanc. Il faut croire que c’est le week-end machine, où on lave son linge sale dans la grande famille du rock. Hier à sec avec les Dry Cleaning et ce vendredi avec les Grand Blanc qui remplacent l’anglaise Bily Nomates portée pâle à la lessiveuse de la Route du Rock. C’est donc un démarrage calme qui attend les festivaliers avec ces textes fredonnés délicatement. Le groupe originaire de Metz nous balade entre pop-électro et chanson française virant à la sieste musicale, extraites de leur tout dernier album Halo. On pourrait se croire à la plage et ce n’est finalement pas si mal, un univers onirique pour reposer nos oreilles meurtries.

C’est surtout pratique, pour une écoute à distance et un positionnement au plus près des barrières. Histoire d’être bien placé pour le concert suivant et emprunter la machine à voyager dans le temps avec les Américains infatigables de Yo La Tengo. Ce groupe existe depuis les années 1980, et ce sont les trois membres d’origine qui se présentent à nous, à savoir Georgia Hubley à la batterie, Ira Kaplan à la guitare et James McNew à la basse. Tout à la fois héros très discrets du rock américain et légendes de l’indie, Yo La Tengo sont de retour avec This Stupid World, leur seizième album en quarante ans de carrière.
Moins tapageurs que leurs cousins de Sonic Youth, plus radicaux que ne pourrait le laisser penser l’air débonnaire du groupe du New Jersey, Yo La Tengo existent ainsi dans le monde du rock américain comme une étoile isolée qui ne suit aucune des règles de carrière. Leur prestation de ce soir entremêle morceaux classiques et extraits de leur dernier album. On est bercé par ces vagues synthétiques, un peu soporifiques pour un public non averti, mais qui conviennent parfaitement à l’heure de l’apéro dinatoire. Quarante ans de complicité forgent le professionnalisme d’un set parfaitement maîtrisé où les trois musiciens alternent régulièrement claviers, percussions et chant. Chacun apporte un ingrédient aux saveurs chaleureuses, au gout punchy puis nerveux. Ira Kaplan nous régale de larsens de guitare en fin de set et nous prouve qu’en désaccordant l’instrument, en le faisant voler autour de sa tête, on obtient un résultat à l’opposé de celui attendu : harmonieux. Magique pour les aficionados qui se régalent de cette nourriture musicale américaine. Bon appétit Messieurs Dames !

On reste sur les terres de l’oncle Sam, direction le Texas, avec les Américains de The Black Angels. Changement de style mais pas forcément de référence, le Velvet Underground étant un repère commun. Formé en 2004 à Austin, Texas, par Stephanie Bailey (batterie), Christian Bland (guitare) et Alex Maas (chant), le nom du groupe est en effet inspiré d’une chanson du Velvet (ndlr : The Black Angel’s Death Song). Proches de groupes comme The Brian Jonestown Massacre qui joueront eux aussi samedi au fort, les Anges Noirs font partie de la scène neo-psychedelia et distillent une musique aux guitares sulfureuses. Un voyage spirituel entre les Doors et Spaceman 3. Un road trip à travers le désert texan, délires psychés ou transes hallucinées entretenues par la guitare enivrante de Christian Bland, la batterie claquante et toujours animée de Stéphanie et les échappées guitares ou claviers de Ramiro Verdooren.
Reste bien sûr à souligner la signature vocale singulière du leader des Black Angels, Alex Maas, qui hante chaque chanson et vous transporte en toute légalité vers les lumières célestes de cette nuit étoilée. Magnifique concert des Anges Noirs estampillés de leur fameux blousons satins Death Song.

La bannière aux cinquante-et-unes étoiles est plantée sur le territoire breton et c’est en toute logique que l’on reste sur ce continent avec les élus du mouvement garage punk made in USA, Osees. Chapeau une nouvelle fois aux organisateurs de ce festival qui, loin d’Austin, ont su concocter un programme digne du festival Levitation US. A noter que les trois concerts s’enchaînent sur la grande scène sans la pause DJ set attendue. Un peu long me témoigneront plusieurs festivaliers qui arriveront même pour certains à se tromper de scène. Vital pour d’autres, en quête de ravitaillements essentiellement liquides !
Du tatouage et de la moustache comme s’il en pleuvait. Direction donc la côte ouest du côté de San Francisco où le groupe trouve son origine. Dirigé par l’hyperactif John Dwyer, Osees est probablement l’un des groupes de rock les plus prolifiques de sa génération. Plus de vingt albums studio et une année 2023 bien remplie avec la sortie, ce vendredi même, de Intercepted Message, un disque qui sonne plus synth-punk pour ces habitués des morceaux sauvages et primitifs.
John Dwyer revendique un hommage aux groupes punk de sa jeunesse, de Rudimentary Peni aux Bad Brains, en passant par Crass, Screamers ou The Stooges. John Dwyer suinte de la moustache. La mèche au vent, il mitraille avec sa guitare hautement perchée un public déjà conquis. Il grimace et provoque sur la gauche de la scène. Au centre, on retrouve le duo de batteurs Dan Rincon/Paul Quattrone qui martèlent les futs comme deux cavistes assoiffés taperaient sur des tonneaux. Le bassiste Tim Hellman suit le mouvement. En retrait, Tomas Dolas, aux synthés et machines, conserve un certain sérieux. Derrière un semblant de joyeux bordel, tout est joué au cordeau. C’est puissant, brutal, mais millimétré. Dwyer et sa bande déroulent un set reprenant les différents albums avec un point commun, l’énergie encore et toujours. A faire trémousser un cul de jatte, à faire voler les gobelets consignés de bière, à faire slamer un quinqua et à faire reculer les frileux comme moi, réfugié en tribune VIP.
Osees alternent rock garage violent et psychédélisme tordu, oscillent entre punk, krautrock puis expérimentent des sons et nous laissent parfois respirer avec une très légère brise de pop. Notre tête tourne, notre corps ne répond déjà plus ! Pas de répit, tout le monde finit à genoux, brisé mais heureux. Le concert le plus puissant du week-end. Je reste marqué par l’esprit collectif du groupe quand John Dwyer décapsule, aussi nerveusement qu’il bouge la tête, une série de bouteilles de bières et les propose à chacun des musiciens qui ont une nouvelle fois assuré « grave ». Il y a un avant et un après « la première fois que tu vois les Osees », m’avait-on prévenu, je n’ai pas été déçu ! Promis, la prochaine fois je reste devant !

Direction la petite scène, on change de registre avec le groupe de hip-hop alternatif clipping. Originaire de Los Angeles, en Californie, le groupe se compose du rappeur Daveed Diggs et des producteurs Williame Hutson et Joathan Snipe. Ouverture musicale voulue par les organisateurs du festival, histoire de motiver et d’attirer (je suppose) les sceptiques du rock indé. Certes, ça s’appelle de « l’horrorcore » mais cela reste un genre où un gaillard délivre un flow survitaminé mais encore trop bruyant pour mes oreilles crasses, lubrifiées à l’huile garage-punks.

Je n’accroche pas trop et regrette finalement la programmation tardive de Young Fathers, le groupe chouchou de ma dulcinée qui m’accompagne de loin ce soir. Il est 1h du matin, les Ecossais entrent sur scène et ce n’est pas pour s’occuper de leurs mouflets, mais plutôt de nos chères têtes blondes d’anges ! Alloysious Massaquoi, Kayus Bankole et Graham Hastings se sont rencontrés alors qu’ils étaient enfants et ont inventé à la sortie de leur premier album en 2014 un melting-pot musical. Après un démarrage en trombe, le groupe n’aura de cesse de faire évoluer son style, intégrant à des racines hip-hop, soul et trip-hop des éléments de musique électronique, de rock ou d’indie pop, me rappelant le style des new-yorkais de TV On The Radio.
Le groupe débute le concert sur les chapeaux de roue et nous montre de suite qu’il n’est pas là pour plaisanter. La foule est instantanément happée par le flow d’Alloysious Massaquoi, les incantations tribales et la démesure dansante de Kayus Bankole. Graham Hastings, visiblement « fatigué », reste plus en retrait. L’émotion ? L’heure tardive ? Une observation progressive du comportement et surtout du regard évadé de l’Ecossais m’amèneront rapidement à la conclusion que « chanter ou conduire, il faut choisir ! ». Heureusement que le backing vocal féminin du soir (désolé pour les noms de ces deux artistes) et la maîtrise du plus vaillant des trois leaders, le bien nommé colosse Alloysious, sauveront la baraque. Je n’oublie pas les lourdes frappes de Steven Morrison, debout et vaillant devant sa batterie qui assène régulièrement le réveil du claviériste et guitariste Callum Easter, lui aussi un peu fatigué. Entre potes on se chambre et l’énervé Kayus, en transe du début à la fin, saura rappeler les obligations militaires à ce recruté à la guitare du bataillon Young Fathers.
Tournée générale de frites avec cette musique joyeuse, colorée et dansante pour un concert au final superbe et chaleureux. Dommage pour ce public fidèle que quelques excitées à la « gâchette spiritueuse » trop facile les dérangent régulièrement. Ne boudons pas notre plaisir, c’est le prix à payer pour ces concerts après minuit et ça permet aussi de faire de temps en temps de jolies rencontres.

Il est 2h du matin : éreinté comme un nourrisson en quête de sommeil, je n’ai plus qu’une envie, aller me coucher ! Aucune force pour assister au dernier concert de Deena Abdelwahed et sa dance électro tunisienne. Retour au berceau, ou plutôt au bercail. Pas besoin de doudou, j’ai eu mon lot de douceur made in USA parfum Ecosse.

Crédit Photos Robert GILL pour SOUND OF VIOLENCE

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