LA ROUTE DU ROCKéïte de Saint-Malo, du 1er au 2 mars 2024 Route.
vendredi 1er Mars
Nous avions quitté Rennes en LamborghinivLambrini, nous voilà arrivés à Saint-Malo avec un reste de vague à l’âme et une prescription médicale de bonne écoute en poche. Qu’importe le reste à charge de la sécurité (sociale), qui nous retiendra quinze minutes de plus que prévu à l’ouverture des portes de la Nouvelle Vague, je franchis l’antre magique dès 20h ce vendredi 1er mars, le ticket modérateur dans la poche. Le plaisir est instantané quand je retrouve cette fidèle amie. Elle m’accompagne, à maturité pour sa 18ème édition d’hiver et pour l’éternité quand arrive le 15 août.
C’est sous une alizée tiède que débute cette édition, avec le groupe français The Big Idea. Les p’tits gars de la Rochelle débarquent de leur voilier et nous jouent ce soir des titres de leur album The Fabulous Expedition Of Le Grand Vésigue qui ne me mettront pas immédiatement en transe Atlantique, mais auront le mérite d’attiser la curiosité d’un public arrivé progressivement sur le quai. Je finirai par monter à bord sur les titres plus électriques et chaloupées de leur second disque, Tales Of Crematie. Reste la tenue de scène qui serait peut-être à soigner. Le short de foot et les socquettes dépareillées m’évoquent le souvenir de la chambre non rangée de Kévin et s’opposent à l’effort vestimentaire que j’ai tenté de faire en portant ce soir mon tee-shirt New Order et ma veste Brandit noire. Rêve d’ado, je me sape pour aller au concert à défaut de ne plus réussir ma crête. En tous cas, bravo les gars, vous avez hissé haut la polyphonie et l’ambidextrie instrumentales.
Après cet échauffement et fidèle à la thérapie de groupes prescrite par mon médecin, c’est avec curiosité que j’observe l’arrivée sur scène du duo Bruit Noir. J’ai lu, en préparant ma venue, que « Bruit Noir dérange, choque, attendrit, agace ». Après cinq minutes de concert, je me dis qu’il y a un adjectif de trop dans cette description. J’ai passé l’âge de me faire moraliser par un quinqua de mon âge, même si celui-ci a écrit des romans, des chansons, et livré des interviews à Radio France. « La chanson tape tellement fort à la porte, que je suis obligé de lui ouvrir », affirme-t-il. Moi, je la referme immédiatement. Je n’ai pas consulté un médecin pour me retrouver chez un spécialiste du slamé francais qui broie du noir. Merci Jean-Michel Pirès, mais je me retire et prend du recul en tribune. Cette prise de hauteur est salvatrice et me permet d’observer Pascal Bouaziz s’agiter sur sa batterie et remettre un peu de couleur rouge (comme son survet) à cette soirée. Foutez la paix à Ian Curtis s’il vous plaît et gardons l’espoir qu’il n’était pas entouré que de cons !
Prescription de festivalier, je pars me chercher une bière, histoire de parler bénévolat avec les femmes et hommes de l’ombre qui font tourner le stand ravitaillement. Un pipi et au lit. Je cours rejoindre ma chambre promise avec le groupe que j’attends, bdrmm (ndlr : dites Bedroom). Trois ans que j’écoute ces quatre-là et plus de trois décennies que j’attends la véritable relève de Ride. Mon graal de nostalgie, oui, mais avec un zeste de mélancolie en moins et de l’amour en plus. Alors ils ne paient pas de mine les frères Smith, Ryan et Jordan, quand tu les vois sur scène. Un look dépareillé mais très british 80’s pour Ryan le chanteur, « so cute » avec son gilet de chasseur et sa boucle d’oreille mousqueton. Joe Vickers, le guitariste, casquette vissée sur la tête, est le beau gosse de la bande. Il ressemble à Patrice Martin, notre petit prince du ski nautique français, au bon souvenir de ceux qui comme moi ont connu le basculement de la télé noir et blanc à la couleur. Et c’est bien l’effet immédiat ressenti au passage de Bruit Noir à bdrmm. Certes, la nuit est tombée, mais le ciel de ma chambre est étoilé. Une constellation qui s’ouvre avec le titre It’s Just A Bit of Blood, pop shoegaze qui coule dans les veines des jeunes adolescents romantiques que nous sommes restés. « Be careful of yourself, prepare for something else » : voilà ce que je veux entendre ! Du miel sonore de bienveillance, doux et rassurant. Ne vous trompez pas, je n’écoute pas de la mièvrerie sonore. Les ambiances douces et fragiles côtoient rapidement des accords de guitare énergiques. Les titres We Fall Apart et le récent Standart Tuning remettent les montres à l’heures du shoegaze un tantinet bruyant de My Bloody Valentine, toujours bercés des faux-airs Slowdive-iens.
J’observe la complicité de ces quatre garçons dans le vent qui les porte vers des sommets de pop shoegaze assumée (eux savent nous regarder dans les yeux !). Le mur de son sera bientôt franchi avec un maximum d’effets sur les guitares et une belle voix plaintive à la Thom York avec le titre Is That What You Wanted to Hear?. Oui, c’est tout à fait cela que je veux entendre ! Merci Messieurs pour cette chair de poule. Oh délicatesse noise, quand tu nous tiens ! Forget The Credits, jolie ballade pour laquelle je remets volontiers une pièce dans le jukebox, est un morceau de transition qui sonne bon l’apprentissage de la basse. La voix éclaircie de Ryan par une rincette de bon whisky étiqueté bdrmm sur la bouteille me pousserait presque à un pas de danse en duo. La concentration du chroniqueur finit par limiter cette débauche à l’expression d’un sourire de bien-être. Du son, du son, du son, finissent par réclamer les pogoteurs du vendredi qui, grâce au titre Push/Pull, voient leur requête exhaussée. Attention, le tempo rapide de batterie du titre Happy sera vite rattrapé par la guitare tranchante et cette chute de tension qui vous fait tourner la tête sur Unhappy. Un son cold wave apte à se retrouver sur le disque Faith de The Cure version 1982 (Patrice Martin sort de ce corps !), des boucles de synthé s’échappant des doigts orfèvres de Jordan, l’enthousiaste petit frère de Ryan qui finira par haranguer le public. Le morceau Port, oppressant au possible, vient conclure de façon magistrale un concert malheureusement limité à quarante minutes par un line-up ambitieux. Vous ne les aviez pas vu venir ? Ils sont là au rendez-vous des grands : bdrmm repartent avec le sourire, s’enlacent et se congratulent.
Il est minuit. Si vous n’êtes pas dans le gaz (oui, j’ai osé !), vous serez comblés avec Gaz Coombes. Le leader du groupe culte pop Supergrass nous était revenu avec un quatrième album solo, Turn The Car Around, un disque sentimental qu’il va dérouler ce soir, tout en classe et élégance, chapeau de feutre sur la tête. Cette pop orchestrale ne me fait pas perdre le sourire, bien au contraire. Elle ravive des souvenirs de Supergrass, enfouis. Elle réjouit mes oreilles d’un timbre de voix perchée aux faux airs de Prince sur Feel Loop (Lizard Dream) ou d’un Robin Williams chantant de la soul sur Don’t Say It’s Over. Musique accessible, Long Live The Strange est la chanson portant la signature de Supergrass de façon la plus évidente. Elle enchante Victor, un fan inconditionnel qui, du haut de ses soixante-cinq ans bien tassés, chante à tue-tête les paroles de cette jolie ballade. Lui connait par coeur toutes les chansons de Gaz et semble maîtriser au bout des doigts cette trilogie de disques, entamée avec Matador, suivie de World’s Strongest Man en 2018 et aujourd’hui donc Turn The Car Around. Je comprends pourquoi Gaz Coombes est un des auteurs-compositeurs-interprètes les plus doués et les plus appréciés du Royaume-Uni. Son sourire, la qualité des musiciens qui l’accompagnent ce soir et sa sincérité font de lui une personne vraiment attachante.
Le concert file, il est 1h quand le « gentleman cambrioleur » de ballades use sa dernière guitare et libère enfin son accordeur humain à moitié caché en coulisses. Clôture précoce, pour votre serviteur, de cette première soirée malouine où je laisse Walter Astral, alias Tristan Thomas et Tino Gelli, oeuvrer à faire danser les plus jeunes avec des drum machines et une basse entrelaçant un vieux banjo. Le vent m’emporte, comme le chante Walter Astral, et c’est devant le bus opérator que j’ai le plaisir de croiser Gaz Coombes et de le féliciter pour ce beau concert. Il me confie avoir passé, lui aussi, un excellent moment. C’est la seconde fois en Bretagne, après sa prestation en octobre dernier à l’UBU de Rennes.
Attention Monsieur, vous êtes déjà atteint de Route du Rockite passagère ! Moi, je suis en cure, et je reviens dès demain.